Michaël, l' Horus vivant
Par Giauque Cédric
Réalité- prime.
Le soleil était haut dans le ciel. Il inondait la petite montagne de ses rayons et réchauffait les cadavres des Démons et des mouches, tombés au combat. Une pestilence qui vous prenait au corps s' évaporait dans l' air brûlant.
Des hordes de démons sanguinaires se regroupaient autour du grand amas rocheux qu' était la retraite de Boojyi et Stuudman.
Stuudman, au fond de la faille dégagée par le caporal- artilleur Boojyi, creusait frénétiquement le sable aux abords de la plaque rocheuse qui devait être une porte, puisque située sous une sorte de fronton. Mais ses recherches restaient vaines. Jusqu' ici, pas l' ombre d' un mécanisme d' ouverture, pas la moindre serrure. Un vrai casse- tête pour l' enseigne.
Stressé encore un peu plus par les tirs de disrupteur et l' explosion des mines à plasma, Stuudman devait encore régulièrement faire un rapport à Boojyi, sur ses avancées en matière d' ouverture de porte secrète.
Il revint vers le caporal- artilleur :
<<- Rien à faire, annonça Stuudman, Je ne trouve rien. >>
Boojyi, sans cesser de faire feu sur les Légions de démons qui se rapprochaient dangereusement, lança une idée, étouffée par le souffle de son arme :
<<- Si l' Empereur est vraiment là- dedans, il a dû prévoir que l' on puisse entrer, non ? >>
<<- Logiquement, oui. Mais je t' assure qu' il n' y a rien là- en bas. >>
<<- Donc, il y a un mécanisme caché... >> Répondit le caporal- artilleur, en pressant la détente du disrupteur.
<<- Ben tiens, tu n' as qu' à y aller... je peux tirer à ta place. >>
Laissant l' arme à l' enseigne, Boojyi se releva. Vu l' avancée des Légions, il fallait qu' il trouve absolument comment entrer plus loin dans la faille. Ils tiendraient encore un petit moment, mais sitôt toutes les mines explosées, il resterait encore largement assez de démons pour leur faire ravaler leur bulletin de naissance. Eux n' auraient alors plus aucune défense, si ce n' était deux fuseurs et un disrupteur qui commençait à chauffer.
Résolu à trouver la clef du mystère, Boojyi s' enfonça vers la porte. Il s' arrêta au bord du trou, qu' il avait creusé de ses mains avec Stuudman, et regarda la porte. L' enseigne disait vrai : pas un seul petit trou, pas la moindre poignée, rien que de la roche. Il s' approcha encore.
Comme Stuudman auparavant, il passa ses doigts le long des jointures de la porte, bordée de roche brute où l' on voyait encore la marque d' outils utilisés, vraisemblablement, pour creuser le boyau qu' il devait y avoir derrière la porte.
Boojyi essaya de penser à ce qu' aurait fait Aarun s' il avait été effectivement coincé en Enfer, sur Terre. Comment être sûr que des hordes de démons ne trouve pas sa cachette ?
Comment être sûr que personne d' autre que quelqu' un venant de l' Empire ne puisse ouvrir cette porte ?
Boojyi avait beau se creuser la tête, il n' avait pas d' idée. conscient de la proximité des démons, il avait peine à garder son esprit sur ce seul problème. Il décida de remonter chercher de l' aide auprès de Stuudman.
Celui- ci laissait refroidir le disrupteur et faisait feu des deux fuseurs, un dans chaque main.
<<- Alors, caporal- gros- malin, t' as trouvé ? >>
<<- Rien du tout. Mais je me demande ce que l' on peut bien avoir et que les démons n' ont pas, à coup sûr. >>
<<- L' intelligence...? >>
<<- Quelque chose qui ouvre les portes. Ou que l' on a toujours avec nous... Je suis sûr que c' est là la clef pour ouvrir cette fichue porte. >>
<<- Ha, mon humour légendaire... >>
<<- Je te rappelle que j' essaye de sauver notre peau. >>
A ce moment, la première mine de la dernière rangée explosa. Une mine puissante, au plasma, qui éradiqua la vie de centaines de démons. Ils étaient vraiment tout près maintenant, et il n' y avait plus besoin de la lunette de visée du disrupteur pour pouvoir les distinguer.
Un mouvement de recul se fit sentir dans les rangs de démons. Ils avaient compris que la lutte serait plus acharnée que prévu. Ces humains avaient peut- être d' autres surprises pour eux. Déjà tant de morts dans les rangs des légions et pas un tir de riposte n' avait encore été tiré. Les humains les dégommaient comme à l' entraînement. Recevant leurs ordres directement d' Asmodée, les généraux braillèrent des ordres gutturaux à leurs troupes. Ils exigeaient que les légions avancent coûte que coûte. Il y aurait des pertes inévitables, mais les ordres étaient d' avancer sur la position des humains et de les tuer.
L' explosion de la mine rappela aux deux soldats de l' Empire, l' urgence de leur situation.
<<- Je sais, railla Stuudman, un tricordeur médical... et heureusement parce qu' on va en avoir besoin pour nous rafistoler après qu' on soit passés dans les mains de nos vieux copains les démons. >>
Boojy regarda son enseigne fixement. L' idée faisait son bonhomme de chemin dans les circonvolutions de son cerveau. Quand enfin elle arriva dans les bons neurones, le regard du caporal- artilleur s' éclaira.
<<- Mais bien sûr... les tricordeurs... t' es un génie. >>

Réalité, temps de Séthy 1er.
Fedzek était un démon patriote. Il s' était battu aux côtés d' Astaroth, dans la longue guerre qui opposait le Bien et le Mal. C' était donc naturellement qu' il s' était porté volontaire pour tenter une sortie du croiseur d' Astaroth. Il avait été nommé porteur d' un message de détresse, à l' intention de Lucifer, Lucifer- prime pour nous. Le chef des Légions de vipères cornues, à l' odeur pestilentielle, espérait que son Maître pourrait le sortir du mauvais pas dans lequel le Synoom l' avait mis.
Sitôt passée la poussée de la catapulte du croiseur, Fedzek avait mis le cap vers la Terre. Dans le petit poste de pilotage, prévu pour un commandant et son copilote, des alarmes vrillaient les tympans du démon. Il désactiva l' alarme anti- G et remarqua qu' une autre alarme lui annonçait un engin se dirigeant vers lui.
Comme prévu, le rayon tracteur n' avait eu aucune prise sur l' aviso. L' objet non identifié, non. C' était probablement une torpille, mais elle se déplaçait plus vite que toutes les armes connues. L' écran de diagnostique du radar indiqua que l' objet le suivait à la trace, l' impact étant pour bientôt.
Entrant dans une manoeuvre d' évitement, Fedzek cabra sa navette, pour perdre de la vélocité. Quand il fût sur le point d' être rattrapé, il piqua subitement vers la Terre. La torpille, prévue pour intercepter des vaisseaux naviguant à des vitesses proches de celle de la lumière, lui passa largement au- dessus. Ce qui arracha un râle de contentement au démon. Même avec une technologie avancée, l' Empire ne valait toujours pas les enfers, et ses pilotes étaient les plus expérimentés.
Maintenant, piquant vers la Terre à travers son atmosphère, l' aviso menaçait de se consumer. Un autre danger guettait le petit appareil et son pilote, car la navette n' était pas faite pour évoluer en milieux atmosphérique. Fedzek devait se battre avec le manche pour garder le contrôle de la manoeuvre.
Tombant comme une brique, l' aviso se défendait. Mais Fedzek tenait bon. Le démon devait absolument rejoindre son Maître, il ne fallait pas faire d' erreur maintenant.
Le démon se savait à l' abris du Synoom et pouvait donc évoluer où bon lui semblait. Il devait néanmoins atterrir dans le désert de cette planète, là où personne ne verrait l' engin spatial. De là, il contacterait Lucifer- prime. Le sort de l' énorme vaisseau de l' Empire serait alors scellé.
Il évoluait maintenant à basse altitude, au- dessus des dunes, dans un immense désert aride. Sur l' écran de son radar, Fedzek pouvait voir un point se rapprocher. Le signal d' une base d' appel. Posant son appareil au pied d' un petit temple perdu, le démon se savait tout près du but de sa mission : contacter Lucifer- prime.
Entrant dans une salle à colonnade, il vérifia sur le fronton de la porte le signe qui lui indiquait que c' était bien le bon temple : une tête de chacal.
Confiant, il s' avança dans la pénombre du temple.

<<- Comment ça... " loupé" ?!? >>
Ooshi n' en revenait pas. Pool était pourtant un as en matière de systèmes de visée, et l' appareil ennemi, un aviso des premières générations, ne disposait même pas de réacteurs d' exponentielle.
<<- Trop lent, la torpille lui est passée au- dessus. >>
<<- Et c' est tout ? La torpille lui est passée au- dessus... La belle excuse ! s' énerva le commandant de la Garde >>
<<- J' ai surestimé l' ennemi. J' aurais dû lui envoyer un tir de fuseur. Répondit le Cryosien. >>
Saan, reprenant ses esprits, se tourna vers Saaba, l' Endorien de 2,25 mètres :
<<- Pouvez- vous le suivre sur votre console ? >>
<<- Je détecte effectivement ses mouvements. De plus je perçois un signal, beaucoup plus faible... une sorte de balise... là, au milieux d' une étendue sablonneuse. Il semble que la navette y file droit dessus. >>
<<- Je perçois le signal également, s' immisça Dina, c' est bien une balise qui émet sur les gammes de fréquences des Enfers. >>
<<- Sur Terre ? Elle est pourtant dans une de nos zones d' influence. Pensa tout haut, le Commandeur Saan. >>
<<- Je parie que la présence d' Astaroth et de ce signal, sans oublier la présence de Lucifer sur Terre, sont liés. Pourtant, je n' ai aucun souvenir de manoeuvres dans ce coin, à cette époque. Réfléchit Ooshi. >>
<<- Je pense, commença Saaba, qu' il est logique dans ce cas de croire que le passé à d' ores et déjà changé. >>
Ooshi resta songeur un moment. La perspective d' avoir changé le passé ne lui plaisait pas. Leur mission était de rechercher l' Empereur et de le ramener saint et sauf, le plus rapidement possible. C' était sans compter qu' Aarun débrancherait son communicateur. Ou pire.
Chassant cette idée de ses pensées, le Commandant en revint à ses cogitations :
<<- Comment affirmer que nous avons changé le passé, nous ne sommes pas intervenus en quoi que ce soit. >>
<<- Peut- être que le seul fait de voyager dans le passé est déjà un changement... laissa planer Saaba. Peut- être est- ce Lucifer, le Lucifer de l' époque je veux dire, qui prends soudainement des initiatives ... >>
Perplexes, les personnes présentes sur la passerelle laissèrent s' installer un lourd silence. Tous se concentrèrent sur leurs consoles, seuls Ooshi et Saan regardaient dans le vide sidéral.
<<- Il y a une chose à laquelle nous n' avons pas pensé, c' est peut- être tout simplement Aarun qui change le passé. Laissa tomber Pool. >>
<<- Non, il y ferait trop attention, dit Ooshi , mais il y a bien une personne qui pourrait changer le passé, sans s' en priver pour arriver à ses fins : le Lucifer de notre époque.>>
La phrase tomba comme un coup de massue sur la passerelle du Synoom. L' idée fit son chemin dans les esprits et elle se changea en évidence. Avec elle, la lourdeur des conséquences apparut à l' équipage. Saaba, l' attaché scientifique résuma l' histoire :
<<- Mon Dieu, il y a deux Lucifer sur Terre... >>

Réalité- prime, 700 ans standards plus tard.
Stuudman, incrédule, regardait le caporal- artilleur s' éloigner au fond de la faille. Il ne comprenait pas ce que Boojyi voulait dire, avec son histoire de tricordeur médical. Il l' avait lancée comme ça, en plaisantant pour cacher sa peur. Face à septante- cinq Légions en furie et sur le point de vous anéantir, il en fallait pour ne pas sombrer dans la folie : de l' humour.
Boojyi sautait déjà dans le trou creusé dans le sable, devant la porte, tandis que la dernière ligne de mines anti- personnelles explosait sous l' avancée des démons. La situation devenait critique et, déjà, quelques centaines de démons escaladaient les pentes de la petite montagne où ils s' étaient réfugiés. Bientôt, les hordes les encercleraient et fondraient en masse sur les deux humains.
Stuudman, épaulant le disrupteur plus fermement, s' appliqua à rendre son dernier combat, dont l' issue ne faisait aucun doute.
Pendant ce temps, Boojyi décrochait son tricordeur médical, emporté dans toutes les missions afin de parer aux urgences.
Bien que d' utilisation compliquée et demandant de longues études préalables, les soldats de l' empire apprenaient son maniement de base. Aux docteurs étaient laissées les opérations plus complexes. Il était donc à lui seul une sorte de pharmacie de secour.
L' allumant, Boojyi le dirigea vers la roche de la lourde masse rocheuse. Il passa l' appareil tout autour des jointures, mais rien n' y fit. Il eut alors l' idée de le connecter sur "opération" plutôt que sur "diagnostique". Il repassa le tricordeur tout au long des jointures. Arrivé à la base droite de la porte, un grésillement se fit entendre. Etouffé, le son semblait provenir de la roche.
<<- J' ai quelque chose ! >> Cria le caporal à Stuudman.
<<- C' est ouvert ? >> Demanda l' enseigne en continuant de tirer sur les démons de plus en plus proches.
<<- Non, mais ça grésille... >>
<<- C' est pas des grésillement qui vont nous sauver ! >>
Boojyi en était bien conscient. Il se rapprocha de la porte et tendit l' oreille. A bien y réfléchir, ce n' était pas un grésillement, mais plutôt un chuintement.
Reprenant son tricordeur médical, il le rapprocha encore une fois du bruit d' air compressé. Un "bong" sonore se fit entendre derrière la roche. Un bruit métallique cette fois- ci. Puis plus rien.
Le caporal- artilleur attendit quelques secondes, chaque saut de trotteuse les rapprochant de la mort sous les coups des démons.
Il ne semblait plus se passer grands- choses. Passant son tricordeur sur " diagnostique" encore une fois, il le maintint devant le point maintenant connu. Le chuintement repris. Collant son oreille encore une fois contre la porte, Boojyi perçut un raclement sourd.
Il ne comprit rien du tout quand, appuyé de tout son poids contre la porte, il fût projeté contre le sable d' en face. Crachant du sable, les yeux mi- clos et légèrement sonné, il resta bouche bée devant le spectacle qui s' offrait à lui maintenant.
La lourde porte avait coulissé et laissait entrevoir un couloir s' enfonçant sous terre. De parts et d' autres du couloir, des dessins représentant des divinités oubliées et inconnues. Tout cela avait une ambiance de mort et Boojyi se demanda si le remède n' était pas plus terrible que la maladie.
Se tournant vers Stuudman, il l' appela :
<<- C' est bon, c' est ouvert. On se replie à l' intérieur ! >>
<<- C' est pas trop tôt, maugréa l' enseigne, encore un peu et on leurs faisait des bises à ces pas- beaux. >>
Arrivant en bas du trou et se plaçant devant le couloir ainsi dévoilé, l' enseigne eût les mêmes pensée que son collègue.
<<- Ca mène où, à ton avis ? >>
<<- On s' en fiche, du moment que ça nous mets à l' abri ! >>
Empoignant le disrupteur pour délester son compagnon encore armé des deux fuseurs, Boojyi s' élança dans le couloir. Stuudman, sans demander son reste, s' engouffra à sa suite.
Sitôt passés la porte, les deux soldats entendirent la porte se refermer et virent la lumière décliner. Redoutant d' être plongé dans le noir total, Boojyi alluma sa torche pour s' éclairer. Au moment où la lumière jaillissait de la lampe, Boojyi la lâcha en sursautant, car une voix s' était fait entendre. La voix d' un ordinateur positronique de l' Empire :
<<- Boucliers activés. Périmètre assuré. >>

Asmodée était toujours penché sur les écrans des consoles satellites. Nedwak suait à grosses gouttes, car il risquait gros. Si le Maître des Enfers n' était pas satisfait, il pourrait tout aussi bien passer sa rage sur l' humain, qui n' y pourrait rien.
Contrôlant en même temps l' avancée des troupes et donnant ses ordres aux généraux infernaux, Asmodée semblait, pour le moment, content de ses troupes d' attaque.
<<- Remontez la montagne par la droite, ordonna-t' il au général de la septante- cinquième Légion. Première Légion, remontez par la gauche. Il faut encercler les humains, pour pouvoir leur tirer dessus depuis tous les côtés. >>
Les généraux confirmèrent les ordres et aboyèrent leurs ordres. Aussitôt, dans un ensemble approximatif, les Légions concernées changèrent de cap, qui par la droite, qui par la gauche.
Deux ou trois mines au plasma ralentirent encore leur avancée, mais ils ne rencontrèrent plus d' obstacle par la suite. Les démons se frayèrent un chemin parmi la maigre végétation d' épineux, goûtant avec un plaisir certain les morsures des épines. La douleur attisait délicieusement leur rage au combat.
Les tirs de fuseurs se concentraient sur les troupes arrivant de face, par rapport à la faille, si bien que déjà, les premiers démons arrivaient en surplomb de l' anfractuosité. Ils se rassemblèrent, et attendirent les ordres de leurs généraux. Ceux- ci, juchés sur de puissants coursiers, arrivaient également au bord du trou dans la montagne.
Les deux généraux se firent des signes afin de coordonner leur attaque. Il fallait attendre que les Légions de la plaine arrivent assez près des deux soldats de l' Empire. Il leur serait alors facile de les dégommer depuis le dessus. Ils n' auraient aucune chance.
Asmodée voyait la manoeuvre en direct. Il pouvait juger de l' excellence de ses généraux et de la docilité de ses troupes qui se lançaient directement sous le feu ennemi, à savoir les tirs de disrupteur.
Nedwak devait corriger sans cesse la focale des satellites et leur orientation. Il voulait donner à Asmodée, la meilleure vue possible et gagner enfin ses cornes.
Enfin, les troupes de la vallée, pataugeant toujours dans les cadavres de mouches, étaient à portée de tirs. Ne disposant que d' armes légères, pour ne pas donner d' idées de soulèvement, les démons reçurent l' ordre de tirer à volonté. Des milliers de traits énergétiques fusèrent dans l' air surchauffé des Enfers. Tous visaient la faille où s' étaient réfugiés les humains tant détestés.
Asmodée poussa un râle de contentement. Nedwak se permit un sourire.
<<- Première et dernière Légion, à l' assaut ! >>
Asmodée avait crié l' ordre. Les généraux confirmèrent à nouveau et lancèrent leurs troupes en avant, vers le bord de la faille.
Aussitôt, des milliers de démons se ruèrent en avant, en lançant des cris de guerre. Quand ils arrivèrent au bord du gouffre, plusieurs ne purent s' arrêter, poussés par les démons qui les suivaient. De ceux- ci, plusieurs tombèrent également.
Des nuques furent brisées sur les aplombs rocheux, des corps éventrés par les arrêtes de schiste. Ceci bien avant que ces démons- là ne touchent le fond de l' abris des deux soldats.
Les démons qui s' arrêtèrent à temps, en haut, épaulèrent leur arme. Au signal des deux généraux, ils firent feu. Un déluge de feu et de mort fusa des milliers de bouches métalliques des armes infernales.
De son poste privilégié, Asmodée éructa une onomatopée qui devait signifier une joie intense. Nedwak en eut les oreilles bourdonnantes.
Quand enfin le Maître des Enfers donna l' ordre de cesser le feu, un épais nuage sortait de l' intérieur de la montagne. Nedwak fit une réflexion :
<<- A ce régime- là , c' est sûr, ils sont morts carbonisés. >>
<<- Oui, je pense que cela ne fait aucun doute, en effet. >>
Puis, reprenant l' autorité suprême :
<<- A toutes les Légions : en avant et sortez- moi les cadavres des humains de là- dedans ! >>
Se tournant vers Nedwak, il le félicita de ses initiatives :
<<- Je suis satisfait, humain. Fais préparer une navette, je dois aller me rendre compte par moi- même de ce qu' il en est de ce signal de l' Empereur. >>
<<- A vos ordres, Seigneur. Dois- je faire inspecter la grotte par un homme de confiance. >>
<<- Non, qu' ils se tiennent en retrait de cette faille. Moi seul pénétrerai plus avant. Qu' ils retrouvent, s' ils retrouvent... , les corps et les sortent de là- dedans. >>
Sur les écrans de contrôle des satellites- espions, Nedwak pouvait voir un petit détachement s' engouffrer dans la faille, hors de vue. Déjà, Asmodée se préparait à partir quand l' humain interrompit ses préparatifs.
<<- Maître, le général de la vingt- troisième Légion me signale un fait curieux. >>
<<- Lequel ? >>
<<- Il n'y a pas de corps dans la faille, pas de traces de corps vaporisés non plus, en fait il n' y a que de la roche et du sable. >>

Le général Biniin, chef des forces armées terrestres de Cresta, n' en menait pas large. D' une part, il devait expliquer l' appareillage du Synoom, en catastrophe, mais, d' autre part, il devait justifier sa non- intervention dans l' affaire.
Joyce, l' enfant stellaire, née de l' union d' un ange gardien, Aarun, et d' une humaine de la Terre, Maurine, écoutait interloquée, les explications de Biniin.
<<- ... Et c' est Ooshi, appuyé de Saan, qui m' a assuré d' être en mission commandée par Dieu Lui- même. >>
<<- Et comment expliquez vous que moi, son Impératrice, son bras armé, je n' en sache rien ? Il me semble que si Dieu avait une mission secrète, c' est à moi qu' il serait revenu de l' exécuter, non ? >>
<<- Mais, Majesté... il s' agissait d' Ooshi et de Saan, comment ne pas les croire ? Leurs faits d' armes sont assez éloquents pour parler d' eux- même. >>
Joyce toisait le général. Elle était devenue une femme d' état, depuis la mort de son père, trois ans auparavant. Garante du sang impérial, elle avait repris le flambeau de la lutte contre le Mal.
Blonde, les cheveux bouclés, un regard pénétrant, elle ne comprenait pas les actes de ses meilleurs hommes. Des hommes qui avaient servis son père, Aarun, et qui continuaient de servir sous ses ordres. Des hommes fidèles, qui l' avaient accompagnée dans de nombreuses batailles.
<<- Savez- vous dans quel quadrant ils sont allés ? >>
<<- C' est là le plus étrange, Majesté. Ils ont pointés directement sur la Terre. Bien sûr, nos satellites espions centauriens les ont tracés... du moins jusqu' à ce qu' ils passent à travers la Terre et réapparaissent au bord d' une sorte de vortex, dans lequel ils ont... disparus. >>
<<- Disparus ? >>
<<- Disparus, c' est bien le mot. Effacés si vous voulez. >>
<<- Abattus par les satellites de défense de la Terre ? >>
<<- Non, non ! Ils sont rentrés dans ce vortex et l' instant d' après, pfft... plus rien. plus là. >>
Joyce resta songeuse un long moment. Biniin dansait d' un pied sur l' autre, plus mal à l' aise que jamais, conscient de l' énormité de ses propos. Des propos qui reflétaient l' exacte vérité et qui n' étaient rien en comparaison de ce qu' il avait encore à annoncer.
L' Impératrice essaya d' entrer en contact avec Dieu, afin de savoir ce qu' il en était au sujet de cette mystérieuse mission. Elle se concentra à l' extrême, tendant tout son esprit vers cette entité d' amour qui répondait toujours à ses appels. Mais Dieu resta muet. Joyce n' arrivait même pas à sentir le Créateur. Encore un fait troublant qui épaississait le mystère.
Elle se tourna vers Biniin et lut la sincérité dans son regard. Il ne Lui mentait pas, ses pouvoirs le Lui disaient.
Le général continua :
<<- Mais le plus étrange dans cette affaire, c' est qu 'une navette d' exploration à été larguée peu avant la disparition du Synoom. Nos satellites centauriens ont retracé le plan de vol de cette navette, et nous avons découvert un signal très étrange, émanant des environs de l' aire d' atterrissage. >>
<<- Les démons ont bien le droit de communiquer. C' est leur planète, après tout. >>
<<- Mais le signal est celui de... enfin tout concorde... et je ne m' explique pas le fait que... >> Bredouilla le général.
<<- Et bien, général ! >>
<<- Le signal, c' est celui de votre père, Aarun 1er ! >>

Réalité, temps de Séthy 1er
La pénombre prévalait sur le soleil, dans le petit temple dédié à Seth. Fedzek longea une salle à colonnes, tout en examinant son nouvel environnement.
Sur les murs de la salle hypostyle, des desseins représentaient des scènes du désert. Dunes, oasis et oueds se succédaient sur les parois, peintes avec une maîtrise que seuls les grands artisans possédaient. D' autres scènes représentaient diverses tortures. Ces passages plurent au démon qui s' attarda pour contempler ces délices représentatifs d' une idéologie du Mal. Mais l' heure tournait et Fedzek dû s' arracher à sa position contemplative, avec peine, tant les peintures étaient subjuguantes de précisions.
Avec une pensée émue pour ses Enfers, le démon traversa la salle, jusqu' à un autel d' albâtre et de marbre rose.
Celui- ci était richement décoré de têtes de chacals et d' ânes, représentations du Dieu Seth, le Dieu du désert et du chaos. Fedzek en fit le tour, cherchant visiblement quelque chose. Il passa ses mains griffues sur le pourtour du socle décoré. Exerça une pression sur chacunes des têtes finement sculptées. Essaya de tourner, de déplacer les visages torturés d' animaux. Rien.
Un puissant râle de mécontentement empli et résonna dans la salle hypostile, déchirant un silence de recueillement. Perplexe, le démon se retira de quelques pas, pour observer l' autel dans son ensemble. Il cherchait des petits trous, cinq au total. Quand il vit que ce qu 'il cherchait se trouvait sur le dessus de l' autel, il se traita mentalement de krull, un petit animal bête comme ses pieds. Il avait tout eu sous les yeux depuis le début.
Sortant cinq cristaux d' une poche de sa combinaison de vol, il les disposa dans les petits trous. Sitôt la cinquième pierre en place, les cristaux s' illuminèrent d' une lueur rouge palpitante. Un trait d' énergie se balada de cristal en cristal puis, disparut. la lumière rouge s' intensifia et une vibration se fit sentir.
Le socle de l' autel commençait à bouger. Tout doucement, presque imperceptiblement. Plus vite, enfin. Le socle laissa alors la place à un escalier qui s' enfonçait dans les entrailles de la Terre.
Sans hésitation, Fedzek s' engouffra dans l' escalier en allumant sa lampe- torche au xénon. Une lueur bleutée baigna alors une deuxième salle, en contrebas. Dans le fond, un ordinateur trônait anachroniquement sur un deuxième autel. Fedzek l' alluma et brancha un système de communication.
Scannant les ondes, il envoya un message destiné à son Maître Suprême, Lucifer- prime. Il enregistra le message audio et vidéo, et le programma pour qu' il passe en boucle.
Son petit travail achevé, il remonta dans la salle du premier autel, retira les cristaux et les rangea dans sa combinaison.
Le socle se remit en place dans un râclement sourd, levant un petit nuage de sable qui retomba aussitôt.
S' asseyant à même le sol, s' appuyant contre le socle, le démon commença une, peut- être, longue attente. Le reste dépendait de Lucifer- prime qui, dès qu' il aurait réceptionné le message, ne tarderait pas à se déplacer.
Et là, le futur du vaisseau de l' Empire serait tout tracé.
l' anéantissement total.
Pur et simple.

