Michaël, l' Horus vivant
Par Giauque Cédric
Chénar était dans son bureau, il récapitulait son plan une énième fois. Il n' avait pas droit à la moindre erreur et il le savait. S' emparer du trône avant l' heure demandait de nombreux alliés et soutiens. Bien qu' il se soit assuré le soutien de l' armée d' Egypte, il voulait encore être dans les bonnes grâces du pouvoir religieux, celui des prêtres de Karnak.
Bien que détestant le clergé d' Amon- Ré, Chénar se savait obligé de devoir compter avec celui- ci. En effet, la dernière fois où un pharaon avait voulu régner sans le soutien de cet état dans l' état, l' aventure s' était soldée par un échec et un grand retour en force de l' ordre établi par les prophètes d' Amon. Le pharaon hérétique, Akhénaton, avait voulu instaurer une idéologie contraire à celle établie par Karnak, il y avait réussi pendant son règne. Sitôt décédé, l' influence des prêtres s' était réveillée et le successeur du pharaon impie, Toutankhamon, n' avait eût comme choix que de réinstaurer les privilèges passés des serviteurs d' Amon- Ré.
Pensif, le vice- roi et vizir de pharaon, laissa son regard errer sur les murs de son bureau. Des ibis s' y envolaient dans de grands battements d' ailes, survolant des lions chassant dans de hautes herbes. Des scènes aquatiques étaient représentées sur le mur d' en face, offrant au regard des poissons aux origines lointaines, le pays de Pount. Sur les quatres colonnes, des hiéroglyphes vantaient les vertus de l' occupant des lieux.
Chénar se fit la réflexion que le premier prophète de Karnak était un homme intègre. Placé à la tête du clergé par son propre père, il vouait une admiration sans faille à Séthy. Un homme difficile voire impossible à corrompre. Sa position de premier prophète le plaçant à la tête d' une immense fortune en biens matériels, l' argent ou l' or n' arriverait pas à en faire un traître.
Il faudrait donc se rabattre sur le deuxième prophète. Ce qui aurait été pratique, c' est que le deuxième prophète soit justement le premier prophète. Ce qui amena Chénar à entrevoir la possibilité de comploter contre le maître de Karnak, afin que Touya n' ait d' autre choix que de le destituer. Le deuxième prophète prendrait alors sa place. La seule chose qui manquait, à part un plan infaillible, c' était le temps.
Il lui fallait agir sans tarder. Il appela une jeune servante nubienne et lui remit un laisser- passer pour entrer dans le temple. Elle reçu l' ordre de transmettre une invitation au deuxième prophète en lui demandant de se rendre à un rendez- vous qu' organiserait Chénar, dans une villa qu' il possédait en dehors de la ville, à l' écart des yeux indiscrets. La servante promit de s' acquitter de sa tâche et s' élança aussitôt sur le chemin du temple de Karnak.
Chénar prit des grains de raisins dans une coupe en or et le porta à sa bouche. Il se délecta du goût sucré des fruits et s' amusa à mastiquer distraitement deux- trois pépins.
D' une malle en bois sculpté, il sortit des vêtements très ordinaires et les revêtit. Il voulait passer pour un quidam quelconque pour se rendre à son rendez- vous.
On était jamais assez prudent.

Aarun reprenait lentement conscience, émergeant par palier d' une noirceur ouatée. Ereinté par la perte de sang et le choc de l' opération, il avait dormi d' un long et profond sommeil réparateur. Un sommeil fait de rêves délicieux, où il arpentait les chemins de Cresta en compagnie de sa petite famille. Où Joyce, insouciante enfant, courait dans les champs pour ceuillir de fleurs pour sa maman, Maurine.
Aarun se souvint alors de tout et, ouvrant les yeux, constata que l' Egypte était bien réelle. La première chose qu' il vit, ce fût le médecin, penché sur lui, lui épongeant le front avec une serviette fraîche. Aarun se laissa aller à ce petit plaisir avec un soupir.
<<- Isis soit louée, tu reviens enfin du domaine des songes. >> Fit le praticien dans un large sourire.
<<- Ai- je été inconscient longtemps ? >>
<<- Nous sommes au petit matin, tu as dormi toute la nuit. >>
Reprenant encore un petit peu plus conscience, Aarun s' inquiéta pour le prince d' Egypte.
<<- Il n' a pas terminé son combat contre les forces du Mal. Il est toujours inconscient, même si son état général s' est amélioré depuis le transfert de ton sang. >>
<<- Et Séthy ? >>
<<- Il a prié tout ce temps. Il a mené un combat acharné contre les forces qui se sont attaquées à nous. Je ne l' ai jamais vu autant effrayé. >>
<<- Pourquoi ? >>
<<- La nuit a été faite de chuchotements, de courants d' air glacial et de bruits étranges. C' était comme si Seth était rentré dans le campement. Il a fallut toute la magie de Pharaon pour nous protéger. D' autant que Séthy pense que l' attaque des hippopotames était dirigée par une force obscure et malfaisante. >>
Aarun acquiesça du chef. Il se releva en position assise, au bord du lit. La tête lui tournait et la tente de pharaon dansait devant ses yeux. Le manque de sang. Il lui fallait reprendre des forces avant tout.
<<- Fait préparer un bouillon de volaille, pour moi et Ramsès. Cela nous redonnera des forces. >>
<<- Un bouillon de volaille...? >>
De fait, le bouillon n' était pas connu en Egypte, sous Séthy premier. Aarun donna donc la recette au médecin, qui l' a transmis au cuisinier de pharaon. De l' eau fût aussitôt mise à bouillir et des poules furent abattues, déplumées et jetées aussitôt dans la marmite.
Pendant ce temps, l' Empereur réussit à se lever et à s' approcher du chevet de Ramsès. Prenant au passage son tricordeur médical que le médecin avait soigneusement posé sur une table basse, il commença à ausculter le jeune prince. Le diagnostique ne se fit pas attendre : Ramsès allait bien, le bouillon le remettrait tout à fait d' aplomb.
Aarun regarda la plaie du cou et constata que le tricordeur avait bien travaillé. la plaie n' était plus qu' une fine ligne rose, contrastant à peine avec la peau claire du prince rouquin.
Il se rattrapa de justesse quand une nouvelle vague de tente dansante fit son apparition. Fermant les yeux, Aarun se concentra et fit passer la crise. Il chercha du regard une outre où une cruche d' eau et n' en trouva pas. Il devrait attendre le médecin et son bouillon.
Les pans de l' entrée se soulevèrent et la tête couronnée de Séthy fit son apparition. Entrant complètement dans la tente, le Pharaon se dirigea, bras ouverts et tendus, vers l' Empereur, en souriant de toutes ses dents.
<<- Aarun, mon ami, je suis heureux de voir que tu vas mieux. >>
<<- Ton fils est sauvé. >>
<<- Mon médecin me l' a dit. Je te dois la vie de mon fils. >>
<<- Tu ne me dois rien du tout, Séthy. J' ai fait ce que je devais faire. >>
<<- Pharaon n' a qu' une parole et je dis que je te serais toujours redevable de cet exploit médical. Demande ce que tu veux, Pharaon te le donnera. >>
<<- Pour le moment, je ne veux que boire un peu de bouillon. Le médecin administrera la même chose à Ramsès, ça le requinquera. >>
<<- Ah, le bouillon de poule... un autre breuvage magique que tu connais ? Quelle est sa magie ?>>
Aarun regarda Séthy dans les yeux. Un regard profond qui devait mettre à genoux quiconque s' opposait à lui. Un regard qui, pourtant, le regardait avec un grand respect. Une idée, vague retour à sa jeunesse terrienne, vint à l' esprit de l' Empereur :
<<- Sa magie... elle fait grandir les enfants ! >>
Et Aarun partit d' un éclat de rire qui fit redanser la tente.

Amenses, le chef de la police thébaine, avait vu la servante nubienne sortir du palais de Chénar. Il la fit suivre par un adjoint de confiance, qui reçut l' ordre de ne pas la laisser filer sans savoir où elle se rendait.
Amenses resta en embuscade, pour surveiller les allées et venues du vizir.
Bien lui en prit, car un homme vêtu de vêtements de basse qualité, des habits de fellah, sortit peu après. L' homme ne portait aucun bijou et sa perruque était de piètre facture. Pourtant, le chef de la police ne tomba pas dans le subterfuge parfaitement réussi. Chénar était méconnaissable, Amenses l' avait reconnu quand même, ayant l' oeil avisé du professionnel.
Il suivit le vizir et vice- roi dans un dédale de rues qu' il connaissait comme sa poche, pour autant que les tuniques en possèdent une.
Chénar suivait un chemin bien connu pour qui voulait sortir de la ville, sans passer par le centre. Cela rendait la filature plus difficile, vu le manque de monde dans les rues. Connaissant parfaitement sa ville, le chef pouvait cependant anticiper les changements de direction du vice- roi, et suivre sa trace sans trop de problèmes.
Au fil du chemin, Amenses remarqua qu' ils se dirigeaient vers un quartier résidentiel huppé. De grandes villas se succédaient au bord du chemin, étalant les richesses de leur propriétaire. Du bétail paissait nonchalament dans les prés clôturés, des poules et des oies se disputaient des grains de blé, dans les basse- cours. Des paysans, employés par les grands de Thèbes, surveillaient tout ce petit monde.
Le vizir commença à ralentir sa marche forcée. Il se retournait de plus en plus souvent, comme s' il se savait suivi. Amenses dû recourir à toute sa science de la dissimulation pour ne pas se faire repérer.
Soudain, l' alerte se fit plus chaude. Sans crier gare, Chénar revenait sur ses pas. Amenses n' eut que le temps de dire ouf, pour se faufiler dans une étable, poussant le bétail pour se cacher. Il attendit que le vizir repasse devant lui, mais, plus il attendait, moins Chénar se faisait voir.
Risquant un oeil à l' extérieur, Amenses blêmit quand il vit que Chénar avait disparu du chemin. Malgré toutes ses précautions, il avait perdu la trace de celui qu' il suivait. Touya ne serait pas satisfaite de son travail. Regardant alentour, il avisa un gardien de chèvres :
<<- As- tu vu un homme entrer dans l' une de ces villas, à l' instant ? >>
<<- Le vizir ? Oui, il est rentré chez lui, dans cette maison- là, répondit le paysan en montrant une superbe demeure. >>
<<- Tu as reconnu le vizir ? >>
<<- Il porte toujours le même déguisement, quand il vient chez lui, sans sa femme. D' ailleurs, une jeune femme devrait bientôt arriver, si tu vois ce que je veux dire... >>
Amenses remercia le paysan et s' en alla un peu plus loin, d' où il pourrait surveiller l' entrée de la maison du vizir. Comme d' habitude, le peuple en savait plus que la police elle- même. Amenses ne put réprimer un sourire en pensant que Chénar devait penser son déguisement infaillible, et pourtant, un simple paysan l' avait percé à jour. Ironie du sort.
Résolu à savoir le fin mot de l' histoire, le chef de la police se mit en devoir d' attendre patiemment le visiteur de chénar, pour retourner faire son rapport à la Reine d' Egypte.

Par déplacements télékynésiques, Lucifer et Lucifer- prime avaient traversé une bonne partie du grand désert d' Egypte. Ombres parmi les dunes de sables, ils arrivaient aux abords de la ville de Thèbes. Ils enfilèrent moultes ruelles sombres à une vitesse vertigineuse, se mouvant tel que seuls les Dieux pouvaient le faire. Enfin, ils arrivèrent au bord du Nil, le Dieu fleuve. En face, le temple de Karnak dont on apercevait les deux pilônes d' entrée. Des oriflammes voletaient au gré du vent puissant et chaud qui accompagnait toujours le crépuscule.
Lucifer- prime s' arrêta sur la berge. Hésitant, il avait visiblement peur de continuer son chemin à travers l' eau vive du Nil. S' arrêtant à son tour, Lucifer l' interpella :
<<- Qu' est- ce qu' il y a, mon frère ? Ne me dis pas que tu ne peux pas traverser le fleuve. Où hésiterais- tu à appliquer notre plan ? >>
<<- C' est l' eau vive. Je n' aime pas à avoir la traverser. >>
<<- Tu es bien jeune et tu crois encore à des superstitions primitives. Avances ! Tu ne risques rien. >>
<<- Le Nil est un Dieu dans ce pays, et je te rappelle que nous sommes... allergiques à toutes formes de sainteté. >>
Lucifer poussa un soupir de découragement. Il ne se rappellait pas avoir été aussi pleutre et superstitieux. Son Moi passé commençait vraiment à lui chauffer les cornes. Il pensa un moment à le tuer tout de suite, mais il se ravisa, croyant, malgré Lui, à une sorte de superstition appelée paradoxe temporel. Une toute petite voix au fond de son esprit torturé par les Ténèbres, qui sauva momentanément son jeune double.
Agacé, il reprit :
<<- Avec l' âge tu apprendras que certains faits ne sont que de la superstition. Nous pouvons tout faire, nous sommes les égaux de Dieu. >>
<<- Tu oublies qu' ici, je suis le Grand Seth ! Il y a des règles à respecter pour parvenir à nos fins. Tu as besoin de moi, car tu ne peux me tuer, tu disparaîtrais aussitôt. Moi, par contre, Je peux envisager de me délester de Toi. Je n'en mourrai pas. Alors veille à ne pas me froisser... mon frère... >>
<<- Tu as peut- être raison. Mais ma seule présence signifie que l' on peut tout se permettre. Il n' y a pas de limites. Pas ou plus, c' est égal. Quoi que l' on fasse, l' on peut l' effacer en revenant dans le passé. Tu comprends ce que je t' apportes ? >>
<<- Ton discours me plaît, mais je sais aussi que je suis le Maître du mensonge... >> Laissa planer Lucifer- prime, dans un sourire.
Lucifer resta silencieux un bref instant. Tout avait été dit sur ce sujet. Tout était sous- entendu et Lucifer- prime se trouvait être moins primitif qu' Il ne l' avait pensé, de prime abord.
Une onde de choc se propagea à la surface de l' eau, faisant s' envoler quelques canards endormis, paniqués par la force qui les avait traversés. Lucifer et son jeune double riaient de bon coeur. Leurs voix surnaturelles faisaient l' effet d' un petit tremblement de terre, Ils se retenaient tout en riant de bon coeur. Un rire gras, plein de menaces cachées et comprises.
Les deux êtres se retournèrent vers le Nil et, toujours par déplacement télékynésique, traversèrent l' eau vive, qui n' eut aucun effet sur les deux compères. De la berge on aurait vu qu' une mince traînée se dirigeant vers l' autre rive, celle du temple.
A peine humides, Lucifer et Lucifer- prime s' arrêtèrent à l' orée des deux pylônes de l' entrée. Si l' eau vive empêchant les Démons de la traverser était une fausse superstition, s' introduire dans un lieu saint n' en était pas une. Le temple de Karnak était une terre consacrée. Il y régnait une magie puissante, renouvelée chaque matin par des rites régénérateurs. Là était le problème, mais il leur fallait absolument entrer.
Prenant leur courage à deux sabots, les deux entités malfaisantes passèrent les pylônes en rasant les murs. Leur tâche était facilitée par le couchant, les rayons du soleil faisant vivre la magie du temple.
De salle à colonnades en enfilade, Ils avancèrent jusqu' à la porte qui fermait le temple d' Amon, là où vivait la statue en or du Dieu. Se faufilant à travers les jointures, ils entrèrent dans le saint des saints de Karnak.
Sur un autel, caché par des draps de lin fin tissé d' or, des offrandes trônaient, attendant que le Dieu se repaîsse de leur nourriture divine. Les Deux Maîtres de l' enfer croquèrent dans les fruits, et s' ennivrèrent du vin précieux. Ils lancèrent les céréales contre les murs et renversèrent les coupes en or.
Les offrandes saccagées, Ils se tournèrent vers une niche située derrière l' autel. La niche où était conservée la statue du Dieu. Lucifer s' en approcha et en carressa la tête. Se tournant vers son homologue, il ne pût que jouir de l' instant :
<<- Vois, mon frère, ce que je fais du dieu de ce pays ! >>
Se concentrant au maximum, le vin ne l' aidant pas en cela, Lucifer étreignit la statue. Au début, Lucifer- prime ne vit rien d' extraordinaire du fait qu' il ne se passa absolument rien. Puis ce fût comme si le Dieu ouvrait les yeux. Deux yeux rouges du sang qui en coulait.
Lucifer se concentra davantage et ce fût des murs que le sang perla, puis goutta. Des milliers de gouttes de sang qui ruissellèrent bientôt, le long des hyérogliphes louant Amon.
Se tournant vers Lucifer- prime, le Prince des Ténèbres dit dans un large sourire :
<<- Je crois que certains prêtres vont avoir une drôle de surprise, demain matin. >>
Dans le même sourire carnassier, Lucifer- prime ajouta :
<<- Nous n' allons pas nous arrêter en si bon chemin. Il y a d' autres Dieux et Déesses, ici. Et le vin nous est offert par pharaon. Je commence à aimer ta vision des règles... >>
Comme Ils étaient entrés, Ils ressortirent du naos d' Amon. Un ballet invisible pour le commun des mortels s' engagea, ses protagonistes évoluant de temples en temples. Isis, Horus, Athor et tant d' autres Dieux présents dans le temple furent voués au même destin qu ' Amon, un peu plus tôt.
Le temple, d' ordinaire aux couleurs chatoyantes, se recouvrit d' un lourd manteau de pourpre.
Les prêtres dormaient et ne se doutaient de rien.

Pharaon revenait de son office, prêchée dans le désert, rituel immuable qu' étaient les rites du soir. Séthy avait prié Ré pour qu' Il sorte vainqueur des neuf portes de la nuit, dans le ventre de Nout.
Il s' installa autour du feu que les gardes avaient allumé. Il se servit à même le brasier, extirpant une caille rôtie dans laquelle il mordit avec un entrain retrouvé. Il n' avait pas pû manger tant que son fils combattait la mort. Le sachant sauvé, Pharaon reprenait goût à la vie.
Ereinté par les prières qu' il n' avait cessé de psalmodier, il se tourna vers Aarun, après avoir fait reculer les gardes.
<<- J' ai beaucoup pensé à ce que tu as fait. En mon fils coule le sang d' un descendant de Dieu. Moi- même ne suis que le représentant de mon Dieu : Amon- Ré. >>
<<- Ne minimise pas ton rang, Séthy. Je te l' ai dit, je viens ... >>
<<- Je sais, coupa le pharaon en levant la main, mais il est de fait que mon fils descend également de ton Dieu, maintenant. Il accède directement à un état qu' il m'a fallut apprendre à maîtriser. Pendant de longues années. Ce sang- là doit primer sur le sang dont je suis le garant. >>
<<- Tu vas trop vite, mon ami. Là d' où je viens, ce que j' ai fait est banal. Cela n' a rien d' exceptionnel. >>
<<- Ici, le lien du sang prime sur tout. Telle est la loi de Mâât. >>
<<- Je comprends, mais c' est sans conséquence. Ton fils est sauvé, pourquoi réfléchir plus loin ? >>
<<- Non, tu ne comprends pas ! Ton sang vaut plus que le mien, grand roi. >>
<<- Allons, allons, renchérit Aarun au top du mal- être, mon sang en vaut bien un autre... >>
Le pharaon regarda Aarun fixement, comme pour lui faire passer ses pensées. Le soleil était couché, maintenant, et le feu donnait une ambiance orangée, au campement. Séthy prit une poignée de sable et laissa couler les grains, lentement. Ce geste semblait l' apaiser, comme s' il était en proie à un furieux dilemne.
<<- Ce que j' essaye de te dire, grand roi, c' est que le frère de Ramsès, Chénar devrait prendre la succession de mon règne. Mais, avec ton sang, tu as fait de Ramsès un demi- Dieu. C' est lui qui reprendra ma succession, et non son frère. >>
<<- Tu ne crois pas que c' est un peu radical ? Attends encore un peu avant de te prononcer. >>
<<- Cela fait longtemps que sa mère et moi hésitons à donner la destinée de l' Egypte à Chénar. Il complote et, parait- il, est adepte de magie noire. L' attaque des hippopotames était l' oeuvre de grandes puissances malfaisantes. Il faudra un pharaon capable de faire régner le Bien et Mâât, sur l' Egyxpte. Ce pharaon sera Ramsès. >>
Aarun ne savait que dire. Il découvrait d' un coup la profondeur des paroles de séthy. Il prenait conscience du fait que Ramsès n' aurait jamais régné s' il n' avait pas fait la transfusion. en sauvant Ramsès, il avait signé un acte très important de l' histoire d' Egypte.
Nombreux étaient les archéologues qui faisaient des suppositions sur cette accession au trône, par le jeune Ramsès, deuxième dans la succession. Tous y allaient de leurs hypothèses. Personne ne savait vraiment pourquoi il en fût ainsi.
Aarun conprenait qu' il était cet événement que tous avaient voulu élucider, sans jamais y parvenir. Pourquoi Ramsès était passé devant son frère, sur le trône ? - Parce qu 'il avait été transfusé par un homme du futur.
La vérité avait quelque chose de comique, mais l' empereur se retint devant la gravité de séthy.
D' ailleurs, à bien y réfléchir, la situation était loin d' être comique. Avait- il changé le passé où l' avait remis sur les bons rails ?
Dans la réalité, Ramsès avait bien régné sur l' Egypte, devenant même le plus grand des pharaons. Mais il régnera parce que l' Empereur lui avait donné un peu de son sang. Le futur était- il écrit dans le passé ?
La tête recommençait à lui tourner. Après tout, pourquoi se poser tant de questions. Ramsès régnerait et c' était là une chose historiquement correcte.
Sirotant un autre bol de bouillon, Aarun se tourna vers Séthy pour lui en proposer. Le pharaon dénia l' offre :
<<- Je crois que je suis assez grand... >>
Aarun partit d' un éclat de rire, sous les yeux médusés de pharaon.

Les tamaris étaient en fleurs et la reine Touya humait leur parfum si délicat. La nuit était tombée et, lasse d' un travail harassant, la reine s' était retirée dans les jardins jouxtants ses appartements. Elle longea le lac d' agrément où, quelques années plus tôt, elle navigeait avec ses deux fils réunis et son mari.
Vêtue d' une simple tunique de lin blanc, ceinte sous les seins par un ruban de couleur, elle avait délaissé sa couronne sur son lit. Nu pied, elle avança dans le lac, goûtant la fraîcheur de l' onde liquide.
Un bruit attira son attention. Un froissement dans la végétation luxuriante.
Quand elle se retourna pour faire face à la source du bruit, elle découvrit le chef de la police.
<<- Comment es- tu entré ? >>
<<- Sans que personne ne me voie, Majesté. Ce que j' ai à vous dire mérite la grande prudence. >>
<<- As- tu du nouveau au sujet de mon fils, Chénar ? >>
<<- En effet, des plus troublant, même...>>
Avec précision, Amenses parla du rendez- vous dans la villa du vizir. Il parla du déguisement, du chemin suivit mais omis de préciser ce que le paysan lui avait appris au sujet des femmes que Chénar rencontrait là- bas. Aucune importance pour cette affaire.
Il en arriva enfin au moment de dévoiler l' identité du mystérieux rendez- vous :
<<- Es- tu sûr de toi ? >> Demanda la reine.
<<- Tout à fait, il s' agissait bien du deuxième prophète de Karnak. Mais quand à ce qui s' est dit à l' intérieur, je n' en ai aucune idée, malheureusement. >>
<<- Voilà qui est fâcheux, mon fils complote certainement pour s' arroger les bonnes grâces du clergé d' Amon. Ce qui m' étonne c' est qu' il fasse convoquer le deuxième prophète plutôt que le premier. >>
<<-A ce que je sais, le premier prophète vous est complètement loyal. Peut- être que votre fils entend écarter le premier prophète, à court terme. Car si complot il doit y avoir, il n' a pas beaucoup de temps, jusqu' à que Séthy ne revienne du delta. >>
Touya remercia Amenses de ses loyaux services en lui remettant un bracelet d' or et de lapis- lazuli. Le chef de la police s' inclina bien bas et assura la souveraine d' Egypte de sa loyauté, encore une fois. Il sortit par le même chemin qu' il avait emprunté pour entrer. Ombre parmi les ombres, personne ne le vit s' éloigner du palais pour rentrer chez lui, en caserne.
Touya, désemparée par les manoeuvres de son fils aîné, se laissa aller à un long soupir. Qu' il était loin le temps du bonheur familial. Séthy lui manquait plus que jamais. Mais elle se fit la promesse intérieure de garder son pays loin des forces maléfiques qui oeuvraient à sa destruction.
Séthy lui avait laissé un pays dirigé par la loi de Mâât, c' est ainsi qu' elle le lui rendrait.

Les deux Princes des Enfers, Lucifer et Lucifer- prime, s' en étaient retournés, leur basse besogne menée à bien, à l' oasis de Kargeh, chez feu le marchand hittite. La boutique leur constituait une sorte de base arrière, idéalement située au coeur du désert.
La maison de Réhsy, d' ordinaire très bien tenue, était saccagée. Les cruches de vin étaient fracassées contre les murs, sitôt vidées. Des lambeaux de nourriture traînaient ça et là, souillant les tapis précieux.
Ivres, les deux compères s' amusaient à dénigrer leurs semblables. Tous les chefs de Légions y passèrent, tous les défauts des Démons furent sujets à plaisanter. Bref, une bonne ambiance régnait dans la maison.
Le forfait accompli plus tôt avait galvanisé leur esprit démoniaque et les deux entités se sentaient invincibles. La présence de l' Empereur sur Terre, n' entachait en rien leur bonne humeur. A deux, ils vaincraient le soldat de dieu sans problème. Du moins théoriquement, car Lucifer savait par expérience que ces fichus Empereurs gardaient toujours une bonne carte dans leurs manches. Ce qui leurs valait, en général, l' avantage de la surprise.
Cette fois, il en irait autrement.
<<- Nous garderons l' Empereur pour plus tard. Demain nous souillerons d' autres temples et, quand les prêtres d' Egypte seront discrédités, nous nous occuperons d' Aarun 1er. Cette fois, la surprise sera de notre côté. >>
<<- Et après l' Empereur... le monde ! >> Jubila Lucifer- prime.
<<- Puis ce fichu Empire s' agenouillera devant moi, s' ennorgueillit Lucifer. >>
Lucifer- prime releva le " moi ", mais n' en laissa rien paraître. Il casa l' information dans un coin de sa mémoire pour plus tard, il était trop ivre pour réfléchir maintenant.
Mais il reconnu là une preuve que Lucifer ne partagerait pas le pouvoir avec Lui. Il faudrait qu' il remédie à cet état de fait avant de se faire écarter du pouvoir. Après tout, les Enfers de cette époque Lui appartenaient, pas à l' Autre.
Un vague grésillement se fit entendre dans la maison. Lucifer- prime, un peu dégrisé par ses réflexions, tendit l' oreille. Il connaissait cette vibration, elle venait de son communicateur personnel. Mais impossible de dire d' où exactement dans tout ce fatras.
Lucifer, voyant son homologue tendre l' oreille, se concentra aussi.
<<- Tu as un communicateur ? >>
<<- Je l' ai toujours dans les parages, tu devrais t' en souvenir. >> Répondit Lucifer- prime, en se levant pour inspecter les alentours.
<<- Et avec qui peux- tu communiquer sur Terre ? >>
<<- Astaroth, par exemple... >>
<<- Astaroth est ici et tu ne m' as rien dit ?!? >>
Lucifer- prime ne répondit rien, tout en songeant que Lucifer ne Lui avait pas tout dit de son avenir, non plus. Pestant contre le capharnaüm régnant dans les lieux, il retournait les tables, les tabourets, les pliants et le lit. Ce communicateur devait avoir pris des cours de camouflage pour être autant introuvable.
Finalement, le Prince- prime le trouva dans l' encadrure d' une fenêtre. Presque complètement déssaoulé par sa recherche, Lucifer- prime brancha le communicateur et l' écran de diagnostique s' afficha en deux dimensions.
<<- Ce n' est pas un appel, mais une balise qui vient d' être activée. >>
<<- Sais- tu où est cette balise ? >>
<<- Evidemment ! Elle est dans un temple, en plein milieu du désert. Ce n' est pas très loin d' ici, en déplacement télékynésique. Deux centiars, tout au plus. Tu n' as qu' à te reposer un peu, je vais y faire un saut vite fait...>>
Lucifer pensait que son jeune double était inexpérimenté et se pensait donc bien supérieur à Lui. Il ne se douta pas que l' activation de la balise était un événement grave. Peut- être aidé en cela par les brumes éthyliques.
Aussi c' est confiant en son destin qu' Il s' allongea à même le sol et se recouvrit d' un tapis finement brodé. Lucifer- prime n' était pas dehors, que Lucifer ronflait déjà d' un souffle caverneux.
Au loin, un chacal faisait entendre sa voix, rappelant que le désert appartenait à Seth. Seth qui s' effaça du monde réel pour se déplacer plus vite que l' oeil humain ne pouvait le voir.
Son but : un temple dont l' entrée était ornée d' une tête de chacal.

