Michaël, l' Horus vivant
Par Giauque Cédric
Son nom était Asmodée. Il n'était ni bon, ni mauvais, en fait c' était l' exception de la nature démoniaque. Il ne vivait que pour les sciences exactes, telles que : mathématiques, algèbre ou géométrie.
Avec son bagage scientifique, il était devenu naturellement le chef des laboratoires de l' Enfer. Il ne dépendait ni de Satan, ni de Bélial et encore moins de Léviathan, mais avait un statut à part, ses découvertes profitant à tous les clans.
C' est en cette qualité qu' il était mobilisé sur le vaisseau de Lucifer et supervisait le bon déroulement des différentes étapes de la procédure de voyage dans le temps.
Tout se passait merveilleusement bien, quand le gigantesque bâtiment trembla de toutes ses superstructures. Aussitôt des données d' avaries emplirent les écrans de contrôle, saturant la lecture, tant leurs défilements étaient rapides. Asmodée sût aussitôt qu' une catastrophe venait d' arriver. Il lança ses ordres pour que les démons inférieurs lui rendent comptes des dégâts. Pratiquement tout le centre du vaisseau- mère venait de disparaître subitement, la source du problème se situant sur le pont des soutes, loin du réacteur cependant.
En analysant les données télémétriques précédants le choc, il remarqua une traînée de particules, typiques de la sortie d' hyperespace.
Impossible !!!
Cela voulait dire qu 'un vaisseau s' était rematérialisé en plein coeur d' une zone solide, soit les soutes du vaisseau de Lucifer.
Lui- même avait fait des études poussées sur l' exponentielle, et cette perspective s' était toujours démontrée impossible tant physiquement que moléculairement. Quelle technologie permettait donc un tel exploit ?
- Pas le temps de le savoir. En effet, Lucifer, entrait à l' instant dans la boucle- piège.

Bien que les dégats dans la soute fussent considérables, on pouvait dire que celle- ci avait été épargnée par l' arrivée spectaculaire de l' aviso d' Aarun et de sa garde. En effet, les abords de la cale étaient dévastés, comme effacés.
Topd, habitué des destructions massives en tous genres, fût impressionné par l' ampleur des dommages :
<<- Saaba, je te tire mon chapeau ! Pour un scientifique, faire un tel "rentre- dedans" ... non, vraiment...tu me la coupes là ! >>
<<- Et bien, normalement, Saaba tenta de se justifier, nous aurions dû nous désintégrer dans un vortex créé par l'attraction moléculaire... >>
<< Comme quoi la science... laissa plâner l' Orion.
<< C' est justement la science qui te permet de faire des " boums" avec tes jouets, répliqua l' Endorien.
Tout en avançant dans les couloirs du bâtiment de guerre maléfique, Topd et Saaba se lançaient des piques constamment, preuve que tout se déroulait comme prévu pendant le briefing de l' attaque.
Pool, ouvrant la marche dans le dédale de couloirs et de coursives, stoppa net son avancée. Mackoll, en queue de colonne, triturait son tricordeur médical.
Celui-ci indiquait une variation de la teneur en souffre de l' atmosphère, rendant l' air plus fétide encore qu' il ne l' était déjà. Et le phénomène s' accélérait.
Un trait de fuseur énergétique brisa le silence installé depuis le début de la petite halte. Topd venait d' ouvrir le feu sur une vipère monstrueuse, surgie d' un ténébreux recoin. Une marée de reptiles surgit alors de tous bords, forçant la garde Impériale à se servir de ses armes énergétiques.
Dans le même temps, la puanteur augmentait en épaisseur. Mackoll voulut en informer son Empereur :
<<- Je sais, dit- il en se retournant pour la fixer, Astaroth...! >>
Les vipères et la puanteur atroce ne pouvaient provenir que de ce démon- là, ou de ses 40 légions. Aussitôt, Aarun bénit des anneaux d'argent, et les distribua à tous les membres de son équipe. Ceux- ci fixèrent alors les- dits anneaux sous leurs narines, unique façon de se protéger de la puanteur épaisse et toxique des hordes d' Astaroth.
Ceci fait, Topd, qui n'avait jamais cessé de tirer sur les infâmes reptiles cornus, créant ainsi une véritable trouée dans les rangs ondoyants, s'avança plus loin dans le sombre tunnel, suivi d' Ooshi et d' Aarun, le reste étant regroupé à l'arrière des trois hommes de têtes.
S' attendant, à tous moments, à tomber nez à nez avec les hordes d' Astaroth, la clique Impériale ne fût pas surprise par l' embuscade de ceux- ci, et une salve de mini- roquettes à plasma dégagea le chemin vers le réacteur du bâtiment des Forces ténébreuses.
Ils avançaient vite, ne faisant pas de quartiers, implacablement et sans pitié, vers leur but : sauver l' équilibre de l' univers.
D' une technologie assez proche de celle des Forces de Dieu, le réacteur matière / antimatière du vaisseau de Lucifer ressemblait fortement à ce que Saaba connaissait. Topd, du même coup, sut exactement où placer ses charges pour saboter le réacteur sans faire exploser tout le vaisseau, ce qui ne leur laisserait aucune chance de s' échapper sains et saufs. Déjà que l' on pouvait qualifier cette mission de suicidaire, il ne fallait surtout pas en rajouter et chaque porte de sortie entrouverte était bonne à prendre.
Il ne manquait plus que de faire exploser les charges et de s'en aller, avec un aviso de transport volé dans un hangar intact. Pourtant, Aarun avait une autre idée en tête :
<< Ooshi, tu repars aux hangars avec les autres et Jembaar prépara un aviso pour repartir. Une fois prêts à mettre les voiles, Topd fera sauter le réacteur. Si à ce moment je ne suis pas à vos côtés, partez sans moi et retournez sur le Synoom. >>
<< Que vas- tu faire ? >> s' inquiéta le chef de la garde.
<< Ooshi, je suis si près de pouvoir éradiquer Lucifer de l' univers. C' est la chance à saisir, tu ne crois pas ? -Malheureusement, je suis le seul capable de l' affronter, nos pouvoirs sont égaux. Il vous tuerait tous en moins de temps qu' il ne faudrait pour le dire. >>
<< Notre mission est de détruire l' arme, pas Lucifer ! ragea Ooshi, conscient du sacrifice de son Empereur. Tu sais bien que... >>
<< Que j' y resterai ? voyons mon ami j'ai toujours mon arme secrète avec moi. Ne l' oublies pas... on est les gentils... on gagne toujours...>>
<< Comment dites- vous, sur Terre à propos des belles jambes ? >>
Mackoll s' immisca dans l' échange verbal :
<< A propos de jambes... le restant des légions d' Astaroth est sur le point de nous tomber dessus ! >>
Les soldats reprenant le dessus sur les hommes, Ooshi donna suite aux ordres d' Aarun et emmena ses soldats vers les hangars où étaient entreposé les avisos.
Aarun se dirigeait, quant- à- lui, vers la passerelle, espérant mettre un terme définitif et sans conditions, à la guerre qui durait déjà depuis une décennie.

Vu l'ampleur des dégats, Asmodée était monté sur la passerelle de commandement, afin de superviser directement le transfert d' énergie dans la boucle- piège du temps. Ses ordres fusaient à toute vitesse, tandis qu' il surveillait discrètement les trois Démons Supérieurs.
Ceux- ci psalmodiaient des incantations oubliées depuis le temps des Grands Anciens, essayant tant bien que mal de maîtriser des forces aussi ancestrales que terriblement dangereuses.
Ils se tenaient au centre de la boucle- piège, afin d'y canaliser les forces magiques à l' exact moment où Asmodée y injecterait le mélange composé des molécules accélérées de Lucifer et de l' énergie résultant de l' explosion de Felsaa.
Tout à son travail, Asmodée n'oubliait pas que si Lucifer n' en réchappait pas, Satan et ses deux compères non plus. Il serait alors le seul à pouvoir rallier les légions de l' Enfer. Pourtant, jamais il ne commettrait un impair fatal, la loyauté primait sur tout, même en Enfer. De plus Asmodée n' était pas un démon ambitieux, il se complaisait dans l' exercice des sciences. Cela lui suffisait. Pourtant cette idée lui était agréable.
Se concentrant davantage, il donna ses ordres pour commencer l' injection. Lucifer était parvenu à une forme purement moléculaire, presque atomique; Il était temps.
Sous la poussée de puissance, les forces contrôlées par Satan, Bélial et Léviathan leurs parurent démesurées. Elles auraient consummé tout autre démon s' y frottant. Déjà, Léviathan mettait un genou à terre, peu habitué à se mouvoir en milieux sec, étant le Maître des Légions aquatiques.
Satan lui adressa un regard réprobateur et Bélial criait maintenant les phrases magiques, comme pour couvrir le poids de sa douleur. D' ailleurs, Satan, n'en menait pas large non plus, il était pourtant le plus puissant des Trois.
Aucun des trois n' entendirent la porte blindée de la passerelle exploser.

Si Aarun s' était donné l' apparence d' un légionnaire d' Astaroth afin d' accéder directement à la porte de la passerelle, sa garde, sous le commandement d' Ooshi, s' était frayée un chemin à la mini- roquette jusqu' aux hangars.
Une fois repéré, un aviso de transport rapide avait été mis en attente de départ, Ooshi ne pouvant se résoudre à abandonner son Empereur. Pourtant, les centiars s' écoulaient inexorablement, sonnant désespéremment le glas du départ.
Saaba, devant les consoles techniques, l' interpella :
<< Ooshi, je détecte l' ouverture du vortex temporel. Aarun a échoué. Il est temps de faire sauter les charges ! Maintenant !! >>

Au moment où le transfert dans le temps allait s' effectuer, Aarun bondit dans le poste de commandement. Asmodée se retourna et lui fit face en arborant un léger sourire narquois. Il était trop tard pour l' Empire, le Mal était à deux centiars de gagner la guerre, grâce au plan de Lucifer. Il se permit même de se tourner vers le centre de la boucle- piège pour voir l' accomplissement de ses travaux et, ainsi, ignorer superbement son ennemi.
Aarun compris, à l' attitude d' Asmodée, que les plans du Prince des Ténèbres étaient en cours d' exécution. Sans comprendre vraiment ce qu' il faisait, poussé par une très forte intuition, il se propulsa d' un bond gigantesque au centre de la boucle, au beau milieu des trois Démons Supérieurs.
Les forces combinées de la science, de la magie et de l' essence de Lucifer explosèrent alors, et il sembla à Aarun qu' il atterrissait dans une énorme source d' énergie.
Il se sentit dispersé mais sentait, néanmoins, la présence de son ennemi. Cette dernière sensation devenant de plus en plus ténue, au fur et à mesure que ses atomes étaient soumis à une accélération aussi douloureuse que vertigineuse, plus incroyable encore que la vitesse exponentielle.
Il lui sembla hurler, se recomposer, puis entrer dans un univers encore plus noir que la noirceur des pensées de Lucifer lui- même.
Pour la première fois de son règne, Aarun connaissait la peur panique de l' inconnu. Même ses puissants pouvoirs, donnés par Dieu pour exercer son rôle de bras armé, ne pouvaient compenser les effets de ce qu' il subissait. Il avait peur car ce à quoi il était confronté dépassait le Seigneur Lui- même. Aarun n'était que son Empereur et c'est sur cette pensée que tout s' éteignit, du moins là où il se trouvait.

<< Ooshi, ça urge !!! On ne peut pas attendre plus longtemps, sinon tout ça n' aura servi à rien ! >>
Saaba insistait, même si cela lui en coûtait autant qu' à son supérieur. Les mots, et la perspective que cela impliquait, étaient lourds à prononcer. Mais il fallait bien se rendre à l' évidence...
Ooshi enclencha le dispositif de mise à feu des explosifs placés sur le réacteur.
Jembaar, dans un même mouvement, enclencha l' hypervitesse de l' intérieur même du hangar. Le tunnel d' exponentielle se creusa devant le nez de l' appareil et celui- ci y entra, au moment où le vaisseau- mère des Forces du Mal explosait.
Rien ne pouvait résister à la combinaison des explosifs de Topd, de la magie et de l' énergie d' une planète entière.
Pourtant, Saaba enfonçait rageusement les diverses touches de contrôle de la console scientifique, pour retracer la marque biologique et moléculaire de l' Empereur.
Le vortex avait été créé et l' hésitation d' Ooshi a abandonner Aarun, n'avait permis à l' explosion que d' en infléchir la direction. De là, il pouvait en déduire que Lucifer avait été dispersé dans le continuum.
Ooshi vint près de lui :
<< Aucune trace d' Aarun ? >>
<< J' ai réussi à retracer l' Empereur jusqu' à son arrivée sur la passerelle. Je l' ai perdu juste deux miliars avant l' explosion. Logiquement...>>
<< Des faits, Saaba! s' impatienta Ooshi. >>
Tous se tournèrent vers l' Endorien, suspendus à ses lèvres, attendant la confirmation que l' impensable ne s' était pas produit. Pourtant, après de nouveaux contrôles, Saaba annonça :
<< L' Empereur a disparu de tous les senseurs...>>
<< Tu as peut- être commis une légère erreur... Il s' en sort toujours...>> Mackoll, comme ses compagnons d' infortune, ne pouvait y croire.
Bien que les consoles soient légèrement différentes de celles utilisées par l' Empire, Saaba ne put que confirmer l' exactitude de ses relevés. Quelques navettes de secours s' étaient bien échappées du vaisseau- mère infernal, mais aucune ne contenait la signature biologique du souverain.
S' il restait un espoir, c' était que les senseurs ultra- sensibles du Synoom aient capté quelque chose qui échappait à l' attaché scientifique de la garde impériale.
Pourtant, dans l' aviso en hypervitesse, les membres de la garde, affligés, blessés au plus profond d'eux- même savaient que si Saaba ne trouvait plus Aarun, il n' y avait plus d' Empereur dans cet univers.
Le silence régna tout au long du voyage. Ils étaient prêt à tout donner pour sauver l' Empire en partant, ils avaient donné bien plus en revenant : le sacrifice d' Aarun.
Mais déjà le moment de sortie d' exponentielle arrivait. Bien que l' équipe soit annéantie d' une douloureuse tristesse, il fallait parer à la manoeuvre. D' autant plus qu' ils se trouvaient dans un aviso ennemi et risquaient de se faire prendre pour cible par le vaisseau impérial.
Sitôt de retour en vitesse normale, Dina lança des appels de détresse sur toutes les fréquences, afin d' annoncer leur arrivée.
Elle capta aussitôt une réponse du Synoom :
<< Aviso de la garde, vous êtes pris en charge par nos rayons tracteurs, on s' occupe de vous. Bravo les gars, vous êtes attendus en héros ! >>
<< Annulez toutes les réjouissances, Synoom. On ne revient pas avec Aarun. Prévenez Saan qu' il nous attende aux hangars d' arrivée.>> Ooshi voulait mettre les choses au point tout de suite. Débarquer dans une ambiance de fête avec une telle nouvelle était au- dessus des forces de n' importe qui.
<< Vous avez été drôlement secoués là- bas, les gars... Cela fait trois ans que le noble Aarun est mort au combat... Mais l' Impératrice Joyce vous attend sur le quai numéro un, hangar six. On s' occupe de tout. Synoom Terminé.>>
Ooshi se tourna, l' air interrogateur, vers les membres de son équipe. Tous avaient le même masque d' incompréhension sur le visage.
Même Topd n' avait rien à dire et restait la bouche ouverte de stupeur. Aarun était mort pratiquement sous leurs yeux, non pas trois ans avant. Saaba revérifia certains paramètres sur les consoles devant lui :
<< C' est pourtant bien notre vaisseau impérial...>>
La douleur faisait maintenant place à l' incrédulité. Ce qui en soi n' était pas plus confortable pour Ooshi et ses hommes.
