Michaël, l' Horus vivant
Par Giauque Cédric
Aarun n' arrivait plus à dormir. Il n 'avait dormi que quelques heures, bien qu' épuisé par les événements de la veille. Il jouait à la crêpe sur son lit et fini par se lever et, sans bruits, sorti de la tente de pharaon.
Dehors, il s' étira longuement et inspecta du regard le camp. Le feu brûlait toujours, alimenté par les soldats de garde. Dommage que le café soit inconnu en Egypte, car Aarun se fit la réflexion qu' il s' en boirait bien une bonne tasse. Il avait gardé cette habitude de son monde d' origine: la Terre du 20ème siècle.
Le fait de vivre actuellement dans le temps des pharaons, ne l' avait pas aidé à dormir. De tous temps, l' Empereur s' était passionné pour l' égyptologie. Il avait même mis à profit de longues heures de ses loisirs à apprendre le language des Dieux, les hiéroglyphes.
Maintenant qu' il avait laissé Séthy le voir sous sa vraie apparance, il pouvait mettre ses fabuleuses facultés psychiques à profit pour profiter au maximum de son aventure. Beaucoup d' émotions, donc.
Mais il n'y avait pas que cela. Il était tourmenté également par le fait de sa position dans le temps. Il était bel et bien perdu sur Terre.
Bien que l' Empire existe déjà depuis des millénaires, Il n'avait aucun moyen pour le contacter. Son Communicateur n' avait pas la portée nécessaire pour atteindre le premier poste de l' Empire : la planète de Saaba, Endore.
Deux questions se posaient alors. Premièrement, devait- il continuer de faire son devoir envers Dieu, ici. Et, deuxièmement, comment l' exécuter. La lutte contre le Mal n' avait pas la même signification que l' on conduise une gigantesque armée ou que l' on soit seul.
Bien que la Terre de l' époque faisait déjà partie de la zone d' influence de Dieu, il ne savait pas si il lui serait possible un jour, de rentrer chez lui: Cresta. Et même si il arrivait à rentrer, il vivrait alors dans un monde appartenant aux livres d' histoire. De plus, il ne pouvait y avoir deux Empereurs. Qu' y ferait- il donc ? Soldat ? Général ? Conseiller ?
Il lui fallait bien avouer qu' après avoir goûté aux batailles, aux situations dangereuses voires désespérées et rattrappées de justesse, mais aussi la camaraderie avec ses Lieutenants, il serait dur de vivre autre chose.
Peut- être, après tout, tout ceci n' avait pour but que de le rendre plus humble.
Non. Dieu n' avait put prévoir les effets de la boucle- piège du temps de Lucifer. Ce n' était que par hasard qu' il se retrouvait coincé dans ces temps reculés. Malgré tout, il se fit la promesse intérieure de méditer sur le fond de son aventure.
Il se dirigea vers le feu et s' assit à même le sable, avec les gardes. Un gobelet de lait lui fut servi et Aarun entama la conversation. Il voulait tout connaître de leur vie en caserne, au service de pharaon.
Le traducteur faisait des merveilles mais Aarun apprenait vite.
Déjà le soleil allait se lever.
Un garde parti réveiller pharaon pour la cérémonie du matin. Il faudrait féliciter et louer le soleil, Râ, d' avoir triomphé des sept portes de la nuit, dans les entrailles de Nout.
Aarun resta à converser avec les gardes. Certains commencèrent cependant à ranger le camp et à porter sur le navire ce qui n' était plus nécessaire. Ceci dans le but d' activer le départ, quand pharaon l' ordonnerait.

Une explosion de lumière et un vent glacial accompagnait la venue de Seth, le Dieu du désert et du chaos.
Chénar, qui l' avait convoqué, fût aveuglé et transi de froid. Il termina son incantation et se risqua alors à ouvrir les yeux. Et ce qu' il lui apparaissait était saisissant d' incompréhension.
Seth était bien là. Il avait bel et bien convoqué le Dieu chacal. Mais loin d' une tête de chacal, Seth était résolumment humanoïde. Et d' une grande beauté, si ce n' était ses yeux flamboyant de rouge. Le même rouge que ceux de L'si- Fer. D' ailleurs, la surprise passée, Chénar fût frappé par la ressemblance entre Seth et L' si-Fer. C'est alors que la terre trembla :
<<- Qui ose invoquer Seth ? >>
La voix était caverneuse et rugueuse. Son intensité, pareille à celle de L'si- Fer.
<< Plus doucement, mon frère, tu vas détruire cette minable masure... >>
Se retournant d' un bloc, prêt à foudroyer l' insolent, Seth fit face à son nouvel interlocuteur. Mais, plutôt que de le réduire en cendres, il s' arrêta net. Figé de stupeur et d' incompréhension.
<<- Qu' est- ce donc que cette mascarade ? Nul ne peut prendre l' apparence du grand Seth sans en payer de sa vie ! >>
<<- Du calme, mon frère ! Ce n' est pas une plaisanterie. Je suis toi, je viens du futur, un futur dont je peux te donner les clés afin que nous triomphions du Bien. >>
<<- Il ne fait nuls doutes que le grand Seth triomphe du Bien ! >>
<<- Oh arrêtes ! Coupa Lucifer, en employant le galactique standard, du temps d' où je viens, nous avons perdu une grande guerre. Je voulais revenir avant la Chute, mais un Empereur du nom maudit d' Aarun, m' a empêché d' atteindre ce but. Mais il nous reste un net avantage sur l' Empire, maintenant que je suis là, avec toi. Car moi, je connais le futur...>>
<<- C' est justement la preuve que tu mens. Personne n' est maître du temps, pas même Amon- Râ.>>
<<- Qui s' appelle Dieu, comme toi tu t' appelles Lucifer ? >>
Seth, autrement dit le Lucifer de l' époque en resta effaré. Il pesa un moment les paroles de l' inconnu, ou plutôt de Lui- même.
<<- Alors tu dis vrai ? Le voyage dans le temps est possible ? >>
<<- Oui, moyennant la destruction d' une planète, c' est possible. >>
<<- Tu peux détruire une planète ? C' est là une technologie dont je ne dispose pas. As- tu cette arme avec toi ? >>
<<- Non, mais j' ai bien plus... Des informations sur le futur... >>
Chénar assistait à l' échange verbal, médusé, terrifié et sans y comprendre quelque chose. Il ne savait s' il devait intervenir ou si sa présence n' était plus nécessaire. Il servirait Seth ou L'si- Fer, si ils le lui demandaient, mais à tout choisir, il préférait s' éclipser et rentrer vers le confort de son palais.
Pour le moment, il n' osait bouger, jugeant sa position trop inconfortable devant deux L'si- Fer, ou deux Seth il ne savait plus bien.
Pourtant il voyait là une occasion en or de renverser son père et de s' emparer du pouvoir. Il servait Seth dans le seul but de faire régner le chaos à la cour de Séthy. Si il s' y prenait judicieusement, Deux Seth, car il était visible que les deux entités étaient pareilles, feraient beaucoup plus de dégâts.
Les deux entités se toisaient du regard quand L' si- Fer se retourna vers le vizir. Il le congédia en lui disant que sa tâche était finie ici, et qu' il pouvait retourner à Thèbes, chez lui. Il lui ordonna aussi de rester en alerte, car il aurait peut- être encore besoin de lui.
Chénar s' inclina devant les deux divinités et leurs assura de sa totale obéissance et de sa dévotion. Il ne demanda aucune récompense pour lui- même, mais espérait bien demander un jour quelque chose en retour, conscient d' avoir joué un rôle capital dans le destin de l' Egypte.
Un destin dont il saurait profiter à son seul avantage.

Réhsy se réveilla de bonne heure. Il avait mal dormi sur la rive du Nil et de plus, son feu était éteint. Cela empêcherait les gardes de pharaon de déceler sa présence, mais cela l' empêchait de se réchauffer également. Les nuits fraîches de l' Egypte n' avaient pas fait execption cette nuit passée, et Réhsy, qui n'avait pas vu le moindre manteau se faire transférer en même temps que lui, avait grelotté une bonne partie de sa courte nuitée.
Rapidement, il rassembla ses maigres effets et entreprit de descendre la vallé du Nil. Il pensait prendre le plus d' avance possible sur l' embarquation de pharaon et avoir ainsi le temps de trouver un bon endroit pour tendre un piège au souverain et à sa suite.
Le marchand hittite ne savait pas encore quel serait son plan. Il ne savait même pas encore tout à fait quels étaient ses nouveaux pouvoirs, donnés par L'si- Fer.
Il comptait en fait sur une soudaine illumination pour décider de la manière dont il se débarrasserait du souverain de Haute et Basse Egypte. Il savait pourtant qu' il devrait faire passer ses actes délictueux pour un accident. Sinon il aurait aux trousses, tous les policiers d' Egypte. Il faudrait donc agir de loin. Mais comment ?
Il pensa d' abord à créer une vague monumentale qui ferait chavirer le navire. Mais ce premier plan de bataille avait deux défauts majeurs :
Le premier était que Séthy était connu pour être un sportif accompli. Il ne se noyerait donc pas, même chose pour Ramsès. Quand à l' inconnu, il ne pouvait en être sûr.
Le deuxième était qu' une vague si gigantesque n' avait aucune chance de se former naturellement si loin de la mer.
Il lui faudrait trouver autre chose.
Continuant ses cogitations, il se mit en route, prenant soin de ne laisser que quelques traces de son passage, empruntant au maximum les passages caillouteux. Si, du navire, on se doutait que quelqu' un les suivait, pharaon donnerait l' ordre de capturer ce suiveur. Réhsy ne tarderait pas à se faire attrapper et il passerait un mauvais moment en compagnie de la garde rapprochée de Séthy. Des hommes réputés inflexibles et dangereux pour quiconque ne voulait pas que du bien à pharaon.
De plus, en se faisant repérer aussi vite, il mettrait en péril toute sa mission et il était d' avis qu' il ne valait mieux pas décevoir L'si- Fer. L' entité était assez impressionnante comme cela, il n' avait aucune envie de la voir de méchante humeur.
Au loin, le soleil pointait à l' horizon. Pharaon ne partirait pas avant d' avoir célébré le lever de l' astre, Râ. Réhsy hâta le pas, il lui fallait impérativement ne pas se faire dépasser par l' embarquation, sinon tout serait perdu, à moins de trouver un cheval. Mais le vol était sévèrement puni, et le vol d' un cheval coûtait très cher. Bien plus que les deux mains, le nez et les oreilles. De plus, mauvais voleur, il se ferait très certainement prendre. Autant marcher le plus vite possible.
Et trouver un plan.
Surtout trouver un plan, sinon...

Séthy et Ramsès avaient bien dormi. La nuit avait étée réparatrice et le souverain et son deuxième fils conversaient amicalement.
<<- Tu vas m' assister dans les prières du renouveau de Râ, mon fils. Ce sera pour toi l' occasion d' apprendre les rites du matin. >>
<<- Comme vous voudrez, père. Répondit Ramsès. Embarquerons- nous après cela ? >>
<<- En effet. Notre route est encore longue jusqu' à notre destination. Et le temps risque de nous manquer. >>
<<- De nous manquer pour quoi ? >>
<<- Pour la grande bataille de prévue. Cette même bataille où notre invité jouera un grand rôle. >>
Ramsès laissa plâner un silence. Il brûlait d' impatience, il aurait voulût tout savoir tout de suite. Pourtant, déjà conscient des usages de son rang, il attendit que son père lui en dise plus. Si pharaon jugeait que son fils devait en savoir plus, il le lui dirait quand il jugerait le moment opportun. Ce n' était pas un adolescent qui dicterait sa loi au descendant d' Horus, pharaon.
Pourtant, aimant son père par- dessus tout, le jeune Ramsès n' y tint plus :
<<- Et vous- même, père, prendrez- vous part à cette bataille ? >>
<<- Je ne sais pas, mon fils. Seul Amon en décidera. >>
La réponse était tombée net. Mais la réponse ne satisfaisait pas le jeune homme. Il se doutait en silence que son père ne voulait pas lui en dire plus. Pour le protéger ? Parce qu' il le jugeait inapte à comprendre les choses de l' Autre Monde, celui des Dieux ?
Il ne savait pas et il devrait se contenter de si peu, pour le moment. C' était déjà un grand honneur que de prendre part aux rites du matin. Chénar, son frère, ne l' avait jamais fait, bien que premier sur la liste de succession au trône. Conscient de l' importance que lui donnait son père en l' associant avec lui pour les prières et les offrandes à Râ, il finit en hâte de s' habiller.
La taille ceinte d' un simple pagne de lin blanc, il sortit avant son père, de la tente. Il regarda alors un étrange spectacle, qui le laissait songeur.
En effet, il voyait autour du feu les gardes habituels, mais beaucoup plus curieux, Aarun était assis avec eux et semblait converser de bon entrain.
Hors, Aarun avait dit être le roi d' un immense royaume. Il était impensable qu' un tel souverain s' asseye comme un simple soldat, sur le sol. La veille, il lui avait été donné un siège digne de ce nom.
Et voilà qu' Aarun se retrouvait à prendre part à une discussion de corp de garde. Etrange.
Quand pharaon sorti à son tour, il vit que son fils observait leur invité avec insistance . Devinant les pensées de Ramsès, il lui dit :
<<- Vois mon fils, c' est là un grand roi que celui qui peut s' abaisser au niveau du peuple et entendre sa voix. >>
<<- Je veux bien vous croire, père. Mais Aarun semble être un curieux roi. >>
<<- Il est beaucoup plus que cela, mon fils, beaucoup plus... crois- moi ! >>
S' amusant à laisser plâner le mystère, Séthy n' en dit pas plus. D' un geste, il invita son fils à s' éloigner dans le désert, pour rendre grâce au soleil.
Une fois les rites du matin effectués, Séthy fit lever le camp. Pour gagner du temps, il avait décidé de manger sur le bateau.
Le temps pressait et il avait peur d' arriver en retard sur les prévisions inscrites sur les murs de la tombe.

La grande reine Touya lisait les rapports de la veille. Elle avait sous les yeux un papyrus qui lui indiquait que son fils aîné, Chénar, avait été repéré dans l' oasis de Kargeh. Il s' était bien rendu dans la boutique du marchand hittite. Mais dans quel but, ce n' était pas mentionné. Pourtant, le papyrus indiquait que le char de chénar avait été dissimulé avec soin, dans l' arrière cour de la maison, dans le but certain de ne pas être repéré.
Chénar se savait- il surveillé. Elle en doutait, car ses espions étaient des maîtres en surveillance et ne se faisaient jamais repérés. Que pouvait donc bien pousser Chénar à être si prudent ? Complotait- il contre son père, le pharaon ?
En fait, le papyrus posait bien plus de questions qu' il n' apportait de réponses. Et ce fait frustrait la grande reine, épouse de pharaon et régente des Deux Terres en son absence.
Si Chénar complotait depuis longtemps contre son père, il allait assûremment mettre à profit son départ, aussi soudain qu' imprévu, pour lui faire du tort. Pharaon ne pourrait se défendre. De plus, Chénar savait que pharaon se rendait dans le delta. Ce serait donc une longue absence.
Malgré tout, Touya ne pouvait faire arrêter son fils, n' ayant aucune preuve, seulement des doutes. Mâât exigeait plus de rigueur dans les accusations, sinon l' accusateur devenait vite l' accusé. On ne fautait pas avec la Règle de Mâât qui assurait des jugements équitables pour tous. D' autant plus avec un grand vizir, fonction de Chénar.
Touya fit donc surveiller discrètement le palais de son vizir de fils, afin d' être au courant de son retour dans les plus brefs délais. Ensuite elle le ferait convoquer pour une raison quelconque et espérait pouvoir le confondre en discutant avec lui.
Elle avait déjà assez de travail avec la bonne marche du royaume, elle n' avait pas besoin d' un coup d' état pour le moment.
Dans un soupir résigné, elle prit un papyrus sur le dessus de la pile et entreprit de le déchiffrer. Les prêtres demandaient plus de grains et se plaignaient des nouveaux arrivages de marchandises pour les offrandes et les rites sacrés.
Le papyrus suivant venait d' une garnison qui demandait plus d' armes, et une autre garnison demandait un surplus de blé.
Tous demandaient plus. La situation était donc normale, ormis l' affaire concernant Chénar. Touya s' attela à la tâche, consciente qu' une fois le travail terminé, il lui faudrait le recommencer, et ainsi de suite. Il ne pouvait en être autrement quand on était de descendance divine et que l' on servait la grandeur de l' Egypte.

Lucifer jubilait. Non seulement il avait réussi à contacter la personne qu' il voulait : le Lui de l' époque, appelons- le " Lucifer- prime". Mais cela voulait surtout dire qu' Il avait vu juste et qu' Il pourrait enfin accomplir ce pourquoi Il était fait : l' avènement du Mal dans l' Empire de Dieu.
Enfin il allait prendre sa revanche sur la Chute dans les Ténèbres. A deux, ils auraient l' avantage sur l' Empereur, puis sur l' Empire. Jamais Dieu ne se relèverait entier.
Il savourait sa future victoire en se regardant. Il se rendait compte des siècles passés depuis cette époque lointaine. Son Lui paraissait imperceptiblement plus jeune. Néanmoins, il se dit que les nombreuses guerres contre le Bien l' avaient marqué dans ses chairs.
Le visage plus lisse, le dos plus droit, Lucifer- prime respirait la haine et la colère. Ennivrant que de se sentir plus belliqueux et plus hargneux. Lucifer- prime était encore bien jeune face à Lui. Et cette jeunesse, donc cette naïveté, Il la mettrait au service de son plan génial et ténébreux de conquêtes de l' Empire tout entier.
Naïveté, car le jeune Lucifer- prime ne se douterait pas une seconde que Lucifer ne le laisserait pas vivre après le succès de sa tâche.
En effet, Lucifer n' avait aucune envie de partager le pouvoir avec Lucifer- prime. Quand au paradoxe qui disait que l' on ne pouvait pas naître après avoir tué son père dans le passé, personne ne pensait que l' on pouvait voyager dans le temps. Les paradoxes, Lucifers ne les aimait pas beaucoup et il s' en fichait éperdumment. En Enfer plus qu' ailleurs, les règles étaient faites pour être transgressées. Et en Enfer, c' était Lui le Maître.
Terminant son inspection, Il s' adressa la parole :
<<- Attablons- nous, mon frère, nous avons à discuter. La journée va être longue, car nous allons mettre au point un plan pour renverser l' Empire. >>
<<- Tu dois bien savoir que je ne fais que cela. Mais j' ai moi aussi un plan pour m' emparer de l' Empire... >>
<<- Je sais, je me rappelle, coupa Lucifer, mais ce plan échouera, comme les autres d' ailleurs. Ma présence ici nous permet d' innover. Mes pouvoirs sont beaucoup plus puissants, maintenant. Je maîtrise l' essence du Mal, mieux que jamais. Vois- tu ce que cela peut nous apporter ? >>
Lucifer- prime réfléchit. Il se servit, dans un gobelet, du vin que Lucifer s' était approprié dans l' arrière- boutique. Pendant ce temps, Lucifer en profita pour couvrir les fenêtres avec des nattes très épaisses, pour ne pas laisser entrer le soleil. La maison était bien plus confortable que l' arrière- boutique du marchand, où s' entassaient toutes ses marchandises. S' asseyant de nouveau, Il laissa le temps à Lucifer- prime de se faire une idée de la nouvelle situation des forces en présence dans l' univers.
Au bout d' un moment, Lucifer- prime prit la parole, s' efforçant de ne pas parler trop fort, pour ne pas recevoir la maison sur la tête.
<<- Si je comprend bien, tu vas m 'aider à prendre le pouvoir. A deux on a une bonne chance de battre ce maudit Empereur. Mais tu compte l' attaquer quand ? Tu as pu me faire venir, mais ce sera différent avec lui. Tu ne pourras pas l' invoquer. De plus, nous somme en temps de paix relative. Pour chercher l' Empereur, il faudra aller le chercher sur Cresta. Comment vas- tu t' y prendre ? >>
<<- On ne va pas s' occuper de l' Empereur tout de suite. D' abord nous allons corrompre cette planète. Quand nous en aurons fait ce que nous voulons, l' Empereur sera obligé de venir défendre cette planète, qui est dans sa sphère d' influence. Et là... >>
<<- Mais cela va prendre des années pour corrompre les différents pouvoirs de cette planète ! >> Coupa Lucifer- prime.
<<- Ton impétuosité te perdra souvent, mon frère. En tous ces millénaires, j' ai appris que la patience est une grande vertu. Ne courons pas tête baissée dans des batailles que nous perdrions. >>
<<- Mais avec tes pouvoirs et les miens, nous sommes plus fort que n' importe qui. C' est un avantage que nous devons utiliser. Portons un grand coup à l' Empire, tout de suite ! >>
Lucifer n' en croyait pas ses oreilles. Il ne se rappelait pas avoir été aussi peu compréhensif. C' était à croire que le fougueux Lui ne savait que se battre. Hors, le plan de Lucifer ne donnait aucune place à la bataille. Il était fait de perversion des pouvoirs en place, de corruption et de complots machiavéliques.
<<- Je ne te parle pas de gagner quelques batailles, mais de gagner la guerre qui nous oppose au Bien. Comprends- tu ? Je te parle de revenir au Paradis, de nous rendre notre place perdue. Mais au lieu de régner à la droite de Dieu, nous régneront à sa place. >>
L' idée fit son bonhomme de chemin dans les synapses du cerveau de Lucifer- prime. Une lueur mauvaise et grandissante dans son regard, indiqua à Lucifer que son alter ego comprenait enfin la portée de Ses paroles.
<<- Par quoi commençons- nous, ...mon frère ? >> Demanda enfin Lucifer- prime.
<<- Et pourquoi pas par le pouvoir de ce pays. Mais le vrai pouvoir, celui des prêtres de Thèbes. De Karnak et de Louxor. Ceux qui sont les gardiens des traditions religieuses. Si nous corrompons ce pouvoir- là, le pouvoir politique ne tardera pas à tomber. Ensuite nous passerons au pays suivant, et ainsi de suite. >>
Le reste de la journée fût passé à boire et à manger. Lucifer avait enfin un interlocuteur à sa hauteur : Lui- même.
Les deux entités firent de grands projets, et, ennivrés, finirent par s'endormir d' un sommeil plombé par les vapeurs éthyliques.

Réhsy avait finalement trouvé un âne. Il était attaché, à l' orée d' une palmeraie, et son propriétaire piquait un roupillon à l' ombre fraîche des arbres. Même pour un si mauvais voleur que l' était le marchand hittite, il excellait par- contre dans le complotage, il fût donc facile de détacher l' animal qui, docile, se laissa entraîner, puis monter.
C' était donc d' un bon pas, d' âne, que Réhsy avançait maintenant. Ce nouveau moyen de transport lui permettait même de s' éloigner de la rive et de couper quelques méandres du Dieu Fleuve. Ainsi sa maigre avance fût portée à une avance confortable.
Mais il n' avait toujours pas de plan pour nuire à pharaon.
Il avait beau se creuser la tête, rien n' y faisait. Il ne voyait pas comment provoquer un accident mortel pour le trio de personnalités importantes, montées à bord de l' embarquation royale.
Il avait pensé à la chute d' un palmier, mais avait aussitôt jugé cette façon de faire trop improbable. Elle ne garantissait en effet pas de tuer les trois personnages d' un coup.
Il avait ensuite pensé à créer une tempête de sable. Le sable remplirait le bateau, qui coulerait. Mais il jugea que les trois individus s' en sortiraient quand même.
Avec ces réflexions, il se dit qu' il n' était pas prêt de servir L'si- Fer comme il le fallait. Si cela continuait ainsi, il échouerait. A moins d' avoir une très bonne idée, maintenant et tout de suite. Car il lui faudrait encore l' exécuter, et cela était une autre paire de manches.
L'si- Fer lui avait dit que pour se servir de ses pouvoirs, il lui faudrait se concentrer sur ce qu' il voudrait faire. Rien de plus, les pouvoirs faisant le reste. Facile à dire. D' autant que Réhsy n' aurait pas l' occasion de s' entraîner avant de passer à l' action. Il n' était donc pas sûr de réussir du premier coup.
Pensif , il fit arrêter l' âne en haut d' une dune surplombant le Nil. Il descendit de l 'animal et s' assit pour une petite pose. En effet, la marche cahoteuse de l' âne lui brisait les reins.
En bas, le Nil s' étirait nonchalamment en une longue courbe bleutée et brillante, aux rives verdoyantes. Un troupeau d' hippopotames se baignait au milieux du cours d' eau.
<<- Satanés animaux ! >> Dit tout haut le marchand.
Il était en effet connu que les hippopotames étaient des animaux belliqueux. Rien ne résistait à un hippopotame en colère, qui chargeait. Ses longues dents déchiquetaient à peu près n' importe quoi, même un crocodile.
D' un bond, Réhsy se leva. Il était tellement joyeux d' avoir enfin un plan qu' il en faillit embrasser son âne.
<<- Les hippopotames, voilà la solution. Rien ne résiste à un troupeau d' hippopotames en colère. Pas même le navire de pharaon, ni ses occupants. >> Dit- il à l' animal qui le regardait de ses yeux fatigués.
De fait, il se mit en devoir d' attendre le bateau royal, pour mettre son plan à exécution. Il le verrait arriver de loin et ce dernier devrait alors manoeuvrer pour éviter le troupeau. Mais Réshy veillerait à diriger, à ce moment là, le troupeau droit sur le navire.
Et le carnage commencerait.

La deuxième journée de navigation avait été entamée en étant accompagnée par les chants des marins. Ramsès avait entrepris d' apprendre les règles du jeu de Sénet, à Aarun. Ce dernier, de bon coeur, s' était installé avec le prince, sous le regard bienveillant de son père, Séthy.
Le jeu de Sénet était joué par tous, en Egypte. C' était un peu le jeu national. Du plus petit paysan jusqu' à la cour, ce jeu faisait fureur.
Il se composait d' un plateau comprenant des excavations, trentes au total. Les deux joueurs disposaient de sept pions, disposés en alternance dans les quatorzes premières excavations. On pouvait aussi jouer sur un plateau peint de cases. Le premier qui arrivait à sortir ses pions du plateau, avait gagné. Mais les règles pour avancer les pions étaient assez compliquées.
Au lieu de dés, les joueurs avaient à leur disposition des bâtonnets décorés sur une face. Chaque face vierge affichée après un jet, donnait un point. Par contre, si toutes les faces décorées étaient affichées, le pion choisi avançait de cinq cases.
Si les faces affichées donnait 1 ou si vous aligniez quatres faces identiques, vous pouviez rejouer.
Une case ne pouvait être occupée que par un seul pion. On pouvait ainsi bloquer son adversaire.
Vous deviez impérativement passer par la case 26, la Maison du Bonheur, avant de sortir votre pion et un jet de quatres faces décorées depuis cette excavation permettait de sortir automatiquement son pion, du tableau.
Si vous tombiez sur la case 27, la Maison de l' Eau, vous retourniez à la case 15, si celle- ci était occupée vous attendiez dans cette bonne Maison de l' Eau que celle- ci se libère. Et ça pouvait durer un bon moment, Aarun l' apprit à ses dépens, si l' on avait un adversaire comme le jeune prince.
Depuis les excavations 28, 29 et 30, respectivement Maison des Trois Vérités, Maison de Rê- Atoum et Maison d' Horus vous deviez effectuer un jet de 1, 2, ou 3 pour sortir votre pion. Pour un lancé de 4 et 5 le pion joué depuis cette case est automatiquement renvoyé à la Maison de l' Eau, case 27. Et là aussi le pion peut être bloqué jusqu' à la libération de cette excavation.
Aarun se battait donc avec ces règles pénibles. Au fil des parties il affina sa stratégie et pût bientôt rivaliser avec le jeune prince. Séthy s' interressait maintenant de très près aux différentes parties. Certains marins faisaient des paris sur les issues des parties, qui pouvaient durer de dix minutes à une bonne heure, c' était selon les fruits du hasard des bâtonnets colorés et des différentes stratégies de jeux.
Ils en étaient à leur ènième partie, quand le soldat de garde de la proue cria quelque chose qu' Aarun ne comprit pas. Le bras pointé vers l' avant, le garde semblait vouloir montrer un obstacle au devant du navire.
Se levant, Aarun ne vit absolument rien dans la direction qu' indiquait le marin. Se tournant vers Ramsès, il l' interrogea du regard, espérant que le prince avait compris de quoi il retournait.
Ramsès répondit d' un haussement d' épaule, language connu de tous les peuples pour dire que l' on n' en sait rien.
Déjà, Séthy se dirigeait vers l' avant du pont. La main en visière, il scruta la surface de l' eau à la recherche du problème. Le garde s' expliqua :
<<- Des hippopotames, Majesté. Tout un troupeau sur la gauche. Et avec cette chaleur, ils doivent s' énerver très vite.>>
<<- Tu as raison, dit le souverain, il faut que nous passions le plus à droite possible. >>
Se tournant alors vers l' arrière du bateau, Séthy donna des ordres pour dérouter le navire royal vers la droite du fleuve. Le timonier manoeuvra rapidement et l' embarquation pointa en direction de l' intérieur du méandre où se trouvait le troupeau. Un soldat contrôlait le tirant d' eau à l' aide d' une corde à noeuds lestée d' une pierre. Tout se passait bien et le bateau ne risquait pas de s' enfoncer dans un banc de sable traître, le soldat y veillerait.
Le troupeau d' hippopotame ne serait bientôt plus qu' un mauvais souvenir, et Aarun et Ramsès retournèrent à leurs parties de Sénet.
Séthy les rejoignit bientôt et félicita Aarun de son apprentissage rapide quand il parvint enfin à battre le jeune prince d' Egypte.
Sans rancune, Ramsès serra la main de son adversaire pour le féliciter. Ils disposèrent à nouveau leurs pions sur le tableau de jeu et entamèrent une nouvelle partie. Séthy paria même avec le capitaine sur une nouvelle victoire de son invité.
La deuxième journée de navigation s' annonçait tout aussi paisible que la première.
Sans surprises.

